Mon enfant adoré que je n’ai jamais eu,
Ma rose, mon bourgeon, ma perle, mon Jésus,
Dans l’ombre insomnieuse et craintive où la femme,
D’un geste égalisé comme un rythme de rame,
Berce la barque blanche où son fils est blotti,
Moi, je te serre au creux le plus chaud de mon âme :
Mon enfant… ma beauté… mon souffle… mon petit !
Forme qui ne cessa jamais d’être un fantôme,
Roi d’exil que n’a point couronné ton royaume,
C’est par le sortilège attendu de minuit
Qu’entre mes bras rejoints en ployante corbeille,
Eveillé, je t’amuse… endormi, je te veille,
Fiévreux, j’apaise ta colère ou ton ennui,
Mon enfant, mon rameau, ma grappe, mon abeille !
Et je te chante, - est-ce pour toi… n’est-ce pour moi ?
Un chant qui glacerait de frayeur ou d’émoi,
Si la plainte en était par le vent recueillie
Et glissée aux seuils clos du village voisin,
Les femmes étreignant leurs petits sur leur sein…
Un chant plus lamenté que le chant d’Ophélie,
Mon enfant, mon bonheur, mon bouquet, ma folie !
Tout ce qui vaut qu’on vive et dont le rêve a faim :
L$umière, amour, bonheur… choix terrestre ou divin,
Tu n’en as pas connu le nom, le charme et l’heure :
Tu ne connaîtras pas tout ce qui vaut qu’on meure :
Cet après de la vie où s’élucide enfin
Le secret bien gardé de la chose éternelle…
Mon enfant, mon rayon, ma lampe, ma prunelle !
Mais plus encore que toi je me sens appauvrir,
Moi qui ne fus jamais résignée à mourir
Et qui croyais trouver ma longue renaissance
Dans le dernier printemps de ton adolescence…
Puis les printemps futurs, dont nul n’est le dernier,
De cent êtres issus de ta seule existence :
Mon enfant, mon lilas, mon ruisseau, mon ramier !
Je n’aurai donc, passé mon temps, pour me survivre,
Que la postérité misérable du livre,
Le bref écho du chant que je chante pour toi
Quand il fait sombre, et vide, et triste sous mon toit,
Et plus triste, et plus vide, et bien plus sombre encore
Sur la vie où l’éclat du plein été décroît…
Mon enfant, mon miroir, mon rire, mon aurore !
Ah ! ce chant qui ne peut remplacer le bonheur…
Comme j’en donnerais l’harmonie et l’honneur,
Ce chant que pour tromper ma détresse j’invente
Quand monte le flux noir où tout s’anéantit,
Pour presser contre moi dans la grande épouvante
Non plus ton ombre, enfin, mais ta forme vivante :
Mon enfant… mon enfant… ma douleur… mon petit !